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mardi, mars 19, 2024

Une femme de tête prend les rênes de l’obstétrique de la maternité de Genève

Directrice dès le 1er octobre de la maternité de Genève, la professeure Begoña Martinez de Tejada Weber s’apprête à relever avec enthousiasme plusieurs défis dans un monde de l’obstétrique en pleine mutation. Battante, la Genevoise d’origine catalane, au parcours académique et professionnel brillants, a été nommée ce printemps, alors qu’elle livrait un de ses plus grands combats, celui contre un cancer du sein.

Dans son tout nouveau bureau, perché au sommet du bâtiment flambant neuf de la maternité de Genève, Begoña Martinez de Tejada Weber affiche l’optimisme des passion nés. Première fem me nommée à la direction générale de l’obstét rique de la maternité de Genève, elle mesure parfaitement l’ampleur de la tâche et les défis qui l’attendent. « En 16 ans passés dans les différents services, j’ai pu observer l’évolution à la fois technologique et humaine de la maternité du plus grand hôpital universitaire de Suisse, confie la professeure qui succède, avec le professeur Patrick Petignat au professeur Olivier Irion, qui a régné durant plus de 15 ans sur la mater nité de Genève. « Je prends les rênes de l’obstétrique et le professeur Petignat dirige la gynécologie et le département, précise celle qui a cumulé durant des années les fonctions de médecin cheffe adjointe en obstét rique et professeure assistante à la faculté de médecine.

Tempérament de feu et enthousiasme solaire

Les murs blancs encore vierges de la salle avec vue panoramique sur le Salève, réverbèrent une luminosité en harmonie avec la personnalité solaire de la nouvelle cheffe. La célèbre toile de Van Gogh des barques colorées sur la plage des Saintes Marie de la mer, trône sur une étagère et symbolise le lien à la Méditerranée de cette native de Barcelone. « Je n’ai pas encore déménagé toutes mes affaires, s’excuse-t-elle dans un accent chantant enroulant sa voix plutôt grave. Mais derrière le timbre chaleureux du Sud, on devine très vite un tempérament de feu. « Je suis parfois un peu trop autoritaire, reconnaît-elle volontiers. Je suis très exigeante avec moi-même, dès lors je le deviens avec les autres. Et j’oublie parfois d’y mettre les formes… »

Défaut ou qualité ? « Je pense qu’il faut dire les choses, ne pas louvoyer, estime la nouvelle cheffe de l’obstétrique. On travaille avec des femmes et des enfants, la moindre erreur peut avoir des conséquences graves. Mais si je peux être un peu dure parfois, notamment face à quelqu’un qui n’assume pas ses responsabilités, je suis aussi toujours là pour en parler après. On doit apprendre de ses erreurs, se remettre en question pour s’améliorer. Et avancer ! »

Evolution technologique de l’obstétrique

En 30 ans, la prise en charge, basée autrefois principalement sur la mécanique obstétricale est devenue plus médicale et surtout technique. Si plus de 60% des grossesses sont aujourd’hui qualifiées à risque, la mortalité maternelle a quasiment disparu et les avancées en néonatologie ont drastiquement augmenté les chances de survie des prématurés et de bébés nés avec une pathologie compliquée.

« Le perfectionnement de l’échographie a, par exemple, beaucoup amélioré le diagnostic prénatal, détaille Begoña Martinez de Tejada Weber. On détecte plus rapidement une malformation ou une souffrance foetale. Des équipes pluridisciplinaires suivent désormais les patientes à risque et interviennent directement sur la mère ou l’enfant en cas de besoin vital. »

Le développement de secteurs spécifiques, tels le suivi des patientes diabétiques, de risques liés à l’obésité et les pathologies psychologiques, tient aussi à coeur de celle qui consacrera encore au minimum 20 % de son temps à ses patientes. « Je suis principalement les grossesses à risques, les pathologies maternelles compliquées et les patientes en privé qui souhaitent être prises en charge par un professeur. »

Principal objectif visé par la nouvelle responsable : augmenter encore la qualité des soins et des prestations. « Je reste attentive, tant au bien être des patientes et des bébés qu’aux conditions de travail des collaborateurs », insiste celle qui a gravi les échelons de la maternité dans la plupart des secteurs.

4100 bébés par année

Fourmilière active 24h sur 24h où naissent plus de 4’100 bébés par année, la maternité de l’Hôpital cantonal universitaire de Genève (HUG) concentre plus de 60 % de son activité dans l’urgence. « On doit s’adapter en permanence, ce qui réclame un grand professionnalisme de la part des équipes, souligne-t-elle. Genève a cette chance de pouvoir offrir des soins et des technologies d’avant-garde. » Une reconnaissance qui dépasse les frontières puisque des femmes arrivent même de l’étranger pour mettre au monde un enfant ou subir une intervention ici. Mais ce succès et l’augmentation régulière du nombre de patientes depuis une dizaine d’années a aussi son revers. Notamment pour le personnel, cumulant souvent soins et tâches administratives.

« Nous devons trouver des solutions pour alléger ces charges annexes afin de permettre aux sages-femmes de consacrer encore plus de temps aux patientes et aux bébés, reconnaît–t-elle consciente des enjeux. « Avec la nouvelle maternité nous passerons de huit salles d’accouchement à douze et nous gagnerons aussi des places en chambre et des postes de travail », se réjouit-elle.

Féministe engagée pour la reconnaissance

Féministe engagée, Begoña Martinez de Tejada Weber voit dans la maternité des HUG un bon reflet de la société. « On compte beaucoup de femmes sur le terrain, dans les services, mais dès qu’on grimpe les échelons hiérarchiques, la représentation féminine diminue radicalement, constate celle qui fut la première femme professeure en gynécologie à Genève et la troisième de Suisse. Alors qu’à priori, la gynécologie et l’obstétrique touchent principalement les femmes. « Heureusement cela change, mais il y a encore du travail. »

Une réalité hiérarchique que sa nomination bouscule, accréditant ses compétences et consacrant un parcours débuté par des études de médecine interne à Barcelone. « J’ai poursuivi par une spécialisation en gynécologie et une sous-spécialisation en maladies infectieuses gynécologiques aux Etats-Unis. » De retour en Catalogne elle exerce quelques années en obstétrique avant de s’installer en 2001 à Genève, avec son mari, suisse. « On s’est rencontré à Barcelone, j’étais prête à venir en Suisse, mais romande! » Plaisante-t-elle.

Son accession à la tête de la maternité de Genève arrive aussi à un moment charnière de sa vie. Retenue parmi d’autres candidatures, suisses et internationales, malgré un diagnostic de cancer du sein, tombé l’été dernier, Begoña Martinez de Tejada Weber n’en est que plus heureuse. « Je suis contente que la maladie n’ait pas été un obstacle ou un argument pour m’écarter », reconnaît-t-elle, puisque c’est durant son traitement qu’elle effectue l’entretien pour le poste. Ironie d’un sort lié à une pathologie dont elle a passé plusieurs années à soigner et accompagner des patientes.

Après quelques mois d’un repos forcé, entrecoupé de lecture (Je suis une boulimique de littérature) et d’écriture d’articles de recherche en obstétrique, Begoña Martinez de Tejada Weber était déjà sur le pont, à 100%, 55 heures par semaine, avec la motivation d’une lionne ! « J’ai d’abord hésité à maintenir ma candidature, mais finalement, je pense que ça m’a porté aussi et je suis heureuse d’avoir été au bout, d’être là, ici, maintenant. »

Un challenge qu’elle a décidé de relever à 51 ans, encouragée par ses proches, ses deux filles et son mari. « Ma famille vivait déjà avec les bips et les conséquences liées à mon engagement à la maternité, sourit-elle. Je me vois encore à la caisse du cinéma avec mes filles à devoir filer à l’hôpital ou disparaître en pleine nuit pour une urgence. »

En acceptant la direction générale du service, elle explose l’altimètre des responsabilités. Et des engagements professionnels. « Je suis malgré tout très proches de mes filles. On a su préserver une qualité de vie harmonieuse, ajoute la cadette de quatre enfants. J’ai vu ma mère sacrifier sa vie pour nous élever, renoncer à son activité d’enseignante et perdre toute indépendance. Je pense que ma passion pour mon métier et mon investissement donnent aussi une image positive à mes filles, Je leur souhaite d’être indépendantes, autonomes et épanouies dans une vie qu’elles auront choisies. »

Et vous ? « Je me sens prête pour la suite ! On verra, professionnellement, le plus important pour moi est d’arriver à réunir tout le monde autour d’un projet commun pour la maternité. »