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mardi, mars 19, 2024

Nations Unies & Femmes : une lutte incessante

En 75 ans, la présence et le rôle des femmes au sein de l’ONU est toujours restée un thème central. Du combat de la première heure pour mentionner la différence de genre dans la Charte des Nations Unies, en passant par les années de promotion de la question, jusqu’à ce jour où la parité reste très symbolique, et que la pandémie du COVID-19 menace des droits laborieusement acquis, la lutte des femmes dans l’organisation reste d’actualité.

En 1945, lors de la Conférence de San Francisco durant laquelle fut signée la Charte des Nations Unies, la lutte pour l’égalité entre les sexes était encore balbutiante. Seuls 3% des 850 délégués présents étaient des femmes et, sur les 51 Etats-membres fondateurs de l’Organisation, uniquement 30 accordaient aux femmes les mêmes droits de vote qu’aux hommes.

 « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées …, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Charte des Nations Unies

Néanmoins, c’est sous la pression de deux militantes sud-américaines particulièrement tenaces, Bertha Lutz (Brésil) et Minerva Bernardino (République Dominicaine) que les rédacteurs de la Charte des Nations Unies, inclurent les mots femmes et sexe au texte. Ces féministes ont même dû batailler contre leurs collègues occidentales jugeant ces précisions « vulgaires ». Jusque-là, aucun document légal international ne proclamait l’égalité des droits entre femmes et hommes comme partie intégrante des droits humains fondamentaux, ni ne considérait la différence de sexe comme un motif de discrimination.

« Aucune restriction ne sera imposée par l’Organisation à l’accès des hommes et des femmes, dans des conditions égales, à toutes les fonctions dans ses organes principaux et subsidiaires. » Article 8 de la Charte des Nations Unies

Au cours des trois décennies qui suivirent, le travail des Nations Unies relatif aux femmes fut principalement consacré à la codification de leurs droits juridiques et civils. Mais il devint rapidement évident que la collecte d’informations ne suffirait pas à provoquer le changement. En 1972, à une époque où 92% des hauts fonctionnaires de l’ONU étaient des hommes, Helvi Sipilä est la première femme à devenir secrétaire-générale adjointe à la demande du Secrétaire général sortant, U Thant, originaire du Myanmar.

Helvi Sipilä (à gauche), Secrétaire-générale adjointe de l’ONU. Photo UN/Michos Tsovaras.

C’est donc assez naturellement que le chef de l’ONU de l’époque, Kurt Waldheim (1972-1981), confie à la finlandaise l’organisation et le secrétariat de la première Conférence mondiale relative au statut des femmes qui se tient en 1975 à Mexico. L’avocate nordique eut aussi une grande influence dans l’établissement de l’Année Internationale des Femmes la même année et la mise en place de la Décennie pour les Femmes (1975 et 1985), donnant lieu à deux autres conférences internationales ; une au Danemark à Copenhagen (1980) et une à Nairobi, au Kenya (1985). Elle intervint également dans l’établissement d’un fonds de développement des Nations Unies pour les femmes (UNIFEM).

Les années 90 : Époque des pionnières

Les années 90 sont celles où les Secrétaires généraux des Nations Unies, passèrent de la théorie à la pratique et durant lesquelles la promotion de la femme battait son plein. C’est le péruvien Javier Perez de Cuellar qui ouvrit la voie aux femmes en recommandant contre toute attente, en 1991, la candidature de Sadako Ogata pour diriger le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR). C’était la première fois qu’une femme occupait des fonctions aussi importantes dans le système des Nations Unies. Durant son mandat la japonaise dut gérer parmi les crises de réfugiés les plus importantes du XXème siècle à savoir celles découlant des situations dans l’ex-Yougoslavie, au Rwanda et au Timor de l’est. Elle dû également s’occuper des retours à la fin des conflits au Cambodge et en Ethiopie.

L’égyptien Boutros Boutros-Ghali désigna, en 1995, l’Américaine Carol Bellamy comme première femme pour diriger l’UNICEF. Le ghanéen Kofi Annan accentua la tendance en nommant en 1997 l’ancienne Présidente irlandaise, Mary Robinson, à la tête du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme. Première femme à diriger l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le Dr Gro Harlem Brundtland, ancien Premier ministre norvégien, fut élue en 1998.

« Le bilan sur les droits des femmes montre que, malgré certaines avancées, aucun pays n’a atteint l’égalité des sexes. » Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes

XXIème siècle : parité visée

Malgré une parité affichée au sommet de nombreuses organisations internationales et la volonté du Secrétaire général, Antonio Guterres, d’atteindre d’ici 2030 le cinquième des 17 Objectifs de Développement Durables (ODD), à savoir la jouissance, pour les femmes et les filles, de droits et opportunités équitables, à l’abri de toute violence et discrimination, la réalité est tout autre. Comme l’indique la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka : « les hommes représentent 75% des parlementaires, 73% des postes de direction, 70% des négociateurs sur le climat et presque tous les artisans de la paix. »

Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes

Au moment où sont fêtés les 25 ans de la Conférence de Beijing, on constate que des progrès ont été accomplis depuis l’adoption du Programme d’action de Beijing. Au cours de la dernière décennie, 131 pays ont adopté des lois en faveur de l’égalité des sexes. Mais, les avancées durement obtenues sont en train de s’inverser et le manque d’action efficace pour stimuler la représentation des femmes dans les arènes du pouvoir n’est pas de bon augure. Au sein du système onusien, pendant la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, la part des femmes parmi les administrateurs et fonctionnaires de rang supérieur dans le système des Nations Unies est passée de 42,8 % à 44,2 %. Les augmentations les plus importantes ont été enregistrées aux plus hauts niveaux, parmi les Secrétaires généraux adjoints et les Sous-Secrétaires généraux. Les femmes sont toujours bien représentées aux postes de début de carrière, à savoir à P-1 et P-2, alors que leur part diminue progressivement à mesure que l’on monte en grade. On constate toujours des écarts entre les sièges et les lieux d’affectation hors sièges, où la part des femmes parmi les administrateurs et fonctionnaires de rang supérieur est inférieure de 8,7%.

COVID-19 : fatalité ou opportunité ?

Depuis le début de la crise sanitaire liée au COVID-19, les femmes se trouvent en première ligne dans le domaine des services de santé et de soins qu’elles prodiguent tout en risquant au quotidien d’être infectées par le coronavirus. A l’échelle mondiale les femmes représentent 69% des professionnels de la santé et 88% du personnel soignant mais environ 72 % des cadres dirigeants de la santé dans le monde sont des hommes. L’écart de rémunération entre les sexes qui se situe actuellement à 16%, à l’échelle mondiale, pourrait augmenter. Les travailleuses qui gagnent en moyenne 84% de ce que gagnent les hommes sont les premières à être pénalisées par le contexte actuel.

Le 1er octobre 2020, à l’occasion de la réunion de haut niveau convoquée par le Président de l’Assemblée générale pour célébrer le 25e anniversaire du Programme d’action de Beijing, les États membres devront démontrer leur engagement politique au plus haut niveau pour faire la différence. Cette crise sanitaire est peut-être une chance à saisir pour construire un avenir plus égalitaire et ne pas perdre les acquis de plusieurs décennies de lutte en quelques mois.